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Utilisation de messages WhatsApp dans le cadre d’un licenciement d’un salarié au Luxembourg

Journée Formation « L'essentiel des Marchés Publics »

L’impact des réseaux sociaux au travail :  la Cour de cassation de Luxembourg confirme le droit pour un employeur d’utiliser en justice les messages WhatsApp d’un salarié lorsque ceux-ci sont ouverts et en accès libre sur l’écran de son ordinateur professionnel.

Facebook, Instagram, WhatsApp… les réseaux sociaux ont pris une place considérable dans le quotidien de nombreuses personnes, y compris dans leur environnement professionnel.

Il est désormais fréquent que ces applications se retrouvent installées sur les téléphones et les ordinateurs professionnels des salariés.

Mais leur utilisation, privée, dans la sphère professionnelle est-elle sans risque ?

Dit autrement, est-ce que les conversations WhatsApp présentes sur un ordinateur de travail ont un caractère privé ou professionnel ?

Entre droit au respect de la vie privée du salarié, secret des correspondances et pouvoir disciplinaire de surveillance électronique de l’employeur, où se situe la limite entre ce qui peut être utilisé et ce qui ne peut pas l’être ?

Pour répondre à ces épineuses questions, notre étude d’avocats s’est penchée sur un arrêt de la Cour de Cassation de Luxembourg du 15 décembre 2022 qui a confirmé la décision de la Cour d’appel du 27 janvier 2022 et s’est prononcée sur la légalité des preuves obtenues par un employeur via une application de messagerie sociale utilisée par une salariée au moyen de l’équipement professionnel mis à disposition par l’entreprise.

 

1) Rappel rapide des règles applicables en matière de surveillance des salariés

De manière préalable, il faut rappeler que l’employeur ne peut pas exercer une surveillance électronique illimitée de ses salariés.

Les conditions de validité et d’obtention des preuves constituées par les communications issues des réseaux sociaux dans l’environnement professionnel sont en effet particulièrement strictes.

Cette surveillance est, en conformité avec le Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel (RGPD), encadrée par l’article L.261-1 du Code du travail qui dispose :

(1) Le traitement de données à caractère personnel à des fins de surveillance des salariés dans le cadre des relations de travail ne peut être mis en œuvre par l’employeur que dans les cas visés à l’article 6, paragraphe 1er, lettres a) à f), du [RGPD], et conformément aux dispositions du présent article.

(…)

(3) Lorsque le traitement des données à caractère personnel prévu au paragraphe 1er est mis en œuvre :

  1. pour les besoins de sécurité et de santé des salariés,
  2. pour le contrôle de production ou des prestations du salarié, lorsqu’une telle mesure est le seul moyen pour déterminer le salaire exact, ou
  3. dans le cadre d’une organisation de travail selon l’horaire mobile conformément aux dispositions du présent code,

les dispositions prévues aux articles L.211-8, L.414-9 et L.423-1 s’appliquent, sauf lorsque le traitement répond à une obligation légale ou réglementaire.

Afin de protéger le respect de l’intimité privée du salariédont font parties les discussions échangées sur ou à partir d’une application de messagerie privée – l’employeur ne peut donc exercer une surveillance électronique que pour les besoins de sécurité et de santé des salariés.

Il s’agit principalement de l’hypothèse du contrôle de la production ou des prestations réalisées par le salarié, si ledit contrôle est la seule possibilité de calculer le salaire exact du salarié ou encore pour la mise en place d’une organisation du travail en cas d’horaire mobile.

Il est également important de rappeler que les correspondances échangées par un salarié au moyen  d’un ordinateur professionnel, de même que les fichiers qui y sont présents, sont présumées professionnels.

Une exception notable existe lorsqu’ils sont spécifiquement identifiés comme relevant de son intimité personnelle et privée, par exemple lorsqu’ils sont marqués ou se trouvent dans un répertoire « message privé », « strictement privé », « fichier personnel », « dossier privé », « images privées », etc.

 

2) Validation par les juridictions au Luxembourg d’un licenciement en raison de messages WhatsApp

 

Ces principes posés, il ressort des deux décisions susvisées que si l’employeur :

  • n’exerce pas une surveillance électronique « continue et exclusive » (avec donc un caractère ciblé), et
  • qu’il a librement accès à des échanges issus de conversations d’une application de messagerie privée instantanée et non professionnelle,

il peut les consulter sans la présence du salarié et lesdits échanges ne sont plus considérés comme privés mais revêtent au contraire un caractère professionnel.

Le libre accès sera caractérisé si, par exemple, l’application est ouverte sur l’écran de l’ordinateur du salarié sans que celui-ci ne soit verrouillé par un mot de passe.

Si ces conditions sont remplies, les juges de la Cour d’appel de Luxembourg ont retenu dans la décision précitée du 27 janvier 2022 que les messages WhatsApp affichés pourront être utilisés et produits en justice par l’employeur pour le cas où leur contenu révélerait une faute du salarié, justifiant un licenciement :

En laissant cet ordinateur allumé et non protégé par un mot de passe, permettant la lecture directe sur l’écran de certains des messages faisant partie de l’ensemble des échanges découverts par la suite, A a nécessairement conféré à ces messages un caractère professionnel, non protégé par le secret des correspondances. Dans ce contexte, il est dès lors indifférent que l’intimée n’ait pas été présente lors de la découverte des messages en cause.

La Cour de Cassation a confirmé la validité du raisonnement des juges du fond, mettant l’accent sur l’accessibilité des messages insidieux :

Il résulte des énonciations de l’arrêt attaqué, d’une part, que les messages invoqués à l’appui de la mise à pied et de la demande en résiliation du contrat de travail figuraient sur l’ordinateur mis à disposition par l’employeur à la salariée pour les besoins de l’exécution de ses tâches salariales, partant sur un outil professionnel, d’autre part, que l’employeur a accédé à cet ordinateur en vue d’une sauvegarde du contenu professionnel, partant pour un motif légitime dans le cadre de l’organisation de son entreprise, de troisième part, que les messages en question n’étaient pas spécifiquement identifiés comme relevant de la sphère privée de la salariée, partant sans possibilité pour l’employeur d’identifier à première vue leur caractère personnel, et, de quatrième part, que l’employeur avait eu accès à ces messages alors que l’application de messagerie avait été laissée ouverte, permettant la lecture directe à l’écran de certains des messages en question, partant sans être protégés par un mot de passe dont l’employeur aurait pu déduire leur caractère privé. En l’état de ces constatations, les juges d’appel ont à bon droit pu retenir que ces messages revêtaient un caractère professionnel, non protégés par le secret des correspondances, et pouvaient être invoqués par l’employeur pour motiver la mise à pied et la demande en résiliation du contrat de travail. Il s’ensuit que le moyen n’est pas fondé.

En l’espèce les messages affichés sur l’application WhatsApp de l’ordinateur professionnel de la salariée avaient été considérés comme contenant des injures, sinon à tout le moins des propos dénotant un profond manque de respect envers son employeur et d’autres collègues.

Compte tenu de cette jurisprudence, un salarié ne saura prétendre à une quelconque protection de sa vie privée ou du secret de ses correspondances en critiquant son employeur, sa hiérarchie ou encore ses collègues de travail en utilisant une application de messagerie laissée ouverte sur son ordinateur professionnel.

Le meilleur conseil reste d’éviter d’utiliser à des fins privées les outils professionnels, sinon d’identifier clairement tout courriel, image, document ou fichier comme relevant de la sphère privée.

En effet, la Cour d’appel de Luxembourg a récemment rendu un arrêt le 9 février 2023 en retenant la validité d’un licenciement en raison de photos présentes dans un répertoire — non marqué comme privé — sur l’ordinateur professionnel d’une salariée, pour justifier un licenciement, en ces termes :

La présence de ces clichés à caractère pоrnоgraphique, figurant sur l’ordinateur mis à disposition de l’appelante à des fins professionnelles au sein des locaux de l’employeur et dans un fichier non spécifiquement identifié comme relevant de la sphère privée de la salariée, est incontestablement de nature à heurter la sensibilité de toute personne qui viendrait à les découvrir et dénote un usage à des fins privées de cet outil de travail.

Le fait de sauvegarder des photos d’une telle nature sur un ordinateur de l’employeur est d’une gravité suffisante pour ébranler définitivement la confiance de l’employeur en sa salariée. (…) Le jugement déféré est dès lors à confirmer en ce qu’il a déclaré justifié le licenciement avec effet immédiat de PERSONNE1.) et en ce qu’il l’a en conséquence débouté de ses demandes en indemnisation.

Pour toute questions en droit du travail au Luxembourg ou de plus amples renseignements sur la surveillance électronique au travail, la légalité des preuves ou le secret des correspondances privées, n’hésitez pas à contacter notre étude d’avocats.