Conférence Chambre des Métiers – « La sous-traitance dans les marchés publics »
Le 16 novembre 2022, Maître Thibault CHEVRIER, Avocat au Barreau de Luxembourg spécialisé dans les marchés publics et Associé de l’étude CHEVRIER & FAVARI, est intervenu à l’occasion d’une conférence de la Chambre des Métiers de Luxembourg sur la thématique « La sous-traitance dans les marchés publics ».
Cette conférence a été l’occasion d’analyser les pièges à éviter lors des phases de participation à une procédure de marché public et de son exécution.
Des incidences peuvent en effet aussi survenir en cours d’exécution, par exemple en cas de remplacement d’un sous-traitant ou lors de l’évaluation de l’opportunité d’une demande de paiement direct.
- Phase de participation à un marché public
D’un point de vue légal, la législation sur les marchés publics fixe uniquement quelques principes généraux :
C’est principalement au niveau du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 sur les marchés publics que les questions de sous-traitance sont traitées.
L’article 24 (2) du prédit règlement du 8 avril 2018 prévoit ainsi qu’en cas de procédure de marché public sous forme d’entreprise générale, cette dernière aura l’obligation de présenter ses sous-traitants lors de la remise de l’offre et ce « sous peine d’irrecevabilité ».
Dans ce cas de figure, le sous-traitant devra être tenu à un certain nombre d’obligations, il devra :
- fournir un DUME, tel que cela est recommandé par les autorités ministérielles :
- remplir le formulaire prévu pour l’adjudication par entreprise générale, tel qu’il figure dans le modèle d’application obligatoire établi par le CRTI-B :
- avoir conclu avec l’entreprise générale un précontrat de sous-traitance ;
- remettre tous les documents qui sont prévus pour vérifier l’absence de cas d’exclusion (casier judiciaire, certificats des administrations fiscales et sociale, etc.) :
De plus, selon l’article 24 (3) du prédit règlement du 8 avril 2018 sur les marchés publics, il est interdit au sous-traitant de soumissionner en parallèle en tant que soumissionnaire principal ou en tant qu’associé au sein d’une société momentanée.
Du point de vue jurisprudentiel, les tribunaux luxembourgeois ont eu l’occasion de toiser des différends où la qualification de sous-traitant d’un marché public était sujette à discussion.
Il arrive en effet qu’une entreprise soit écartée pour ne pas avoir déclaré ses sous-traitants en estimant, par exemple, qu’ils intervenaient comme simples fournisseurs.
Dans une affaire, un soumissionnaire avait contesté devant le tribunal administratif la décision d’adjudication d’un marché à un concurrent qui aurait sous-traité une partie importante du marché : la fabrication sur mesure d’armoires électriques. Cette prestation dépassait la portion maximale prévue dans le cahier des charges. Le pouvoir adjudicateur avait argumenté qu’il s’agissait de simples fournitures, sans qu’il n’y ait une sous-traitance.
S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de Cassation française, le tribunal administratif avait eu l’occasion de retenir dans un jugement du 25 février 2013 que :
Pour qu’il y ait sous-traitance, il faut dès lors que tant le contrat principal que le sous-contrat soient des contrats d’entreprise, c’est-à-dire des contrats prévoyant une obligation de faire, non une obligation de transférer la propriété (« donare »), le sous-traitant étant en conséquence tenu envers l’entreprise principale à une obligation de résultat.
En tenant compte de son importance par rapport à l’objet du marché, le tribunal avait retenu l’existence d’une relation de sous-traitance qui dépassait le seuil fixé.
Dans une seconde affaire, les juges du tribunal administratif avait là encore pris en compte la spécificité des prestations qui devaient être exécutées ainsi que leur importance telle qu’elles ressortaient du bordereau pour déceler une véritable relation de sous-traitance, allant au-delà d’un caractère accessoire :
La société demanderesse insiste en tout état de cause sur le fait qu’en l’espèce le transport de matières dangereuses ne saurait, du fait de sa faible complexité et de l’habitude qu’elle aurait d’effectuer ce type de travaux de dépollution, être considéré comme une véritable sous-traitance et qu’il s’agirait au contraire d’une mise en œuvre accessoire à l’exécution de l’objet principal du marché, ce caractère accessoire s’expliquant tant au niveau de la prestation en elle-même qu’au niveau de son éventualité dans le sens où il ne serait pas donné que de telles matières devront nécessairement être transportées lors de l’exécution du marché.
Face au désaccord des parties quant à l’étendu de l’objet principal du marché litigieux, le tribunal est amené à analyser avant tout autre progrès en cause si les travaux de dépollution et donc également la tâche d’évacuer les terres polluées relèvent ou non du contrat principal du marché ou si ces travaux peuvent s’analyser en une simple prestation accessoire.
2. Phase d’exécution du marché public
En ce qui concerne le volet exécution d’un marché public, et s’agissant d’une relation de nature civile, ce sont les principes d’exécution du contrat — identiques à ceux du droit privé — qui vont trouver application dans une large mesure.
Ces principes devront cependant être modulés pour les marchés publics alors que des obligations inhérentes à des questions de transparence impliqueront d’avertir le pouvoir adjudicateur, par exemple, d’un changement qui interviendrait dans la constellation de sous-traitance ou dans la part des travaux sous-traités.
En ce sens, l’article 24 (4) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 sur les marchés publics va mettre en place une obligation de recueillir l’accord préalable de l’acheteur public, en indiquant la raison du changement envisagé :
(4) L’entrepreneur général ne peut, après la remise de son offre et pendant la durée du contrat, échanger un ou plusieurs de ses sous-traitants, ni modifier la part des travaux attribués à chacun d’eux, que dans des cas dûment justifiés et avec l’assentiment du pouvoir adjudicateur.
Sont à considérer comme cas dûment justifiés au sens de l’alinéa qui précède :
– les cas visés à l’article 105, paragraphe 4,
– les cas énumérés à l’article 44, paragraphe 1, points b) et c) de la loi,
– l’exclusion de la participation aux marchés publics,
– la faillite,
– le manquement grave aux conditions du contrat de sous-traitance.
Une telle obligation ne doit pas être négligée, la Cour de Justice de l’Union Européenne ayant eu l’occasion d’examiner l’étendue des implications d’un manquement à cet égard.
Dans cette affaire, une entreprise avait procédé à un remplacement d’un sous-traitant sur un marché public et sans le consentement du pouvoir adjudicateur.
Après la découverte de cette substitution, le pouvoir adjudicateur avait résilié le marché et, à l’occasion d’une procédure de marché public ultérieure, il avait décidé de ne pas prendre en considération son offre du fait de ce manquement passé.
Saisie d’une question quant à la légitimité de cette exclusion, la CJUE avait décidé dans un arrêt C-267/18 du 3 octobre 2019 de retenir que :
38. Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 57, paragraphe 4, sous g), de la directive 2014/24 doit être interprété en ce sens que la sous-traitance, par un opérateur économique, d’une partie des travaux dans le cadre d’un marché public antérieur, décidée sans le consentement du pouvoir adjudicateur et qui a donné lieu à la résiliation de ce marché, constitue une défaillance importante ou persistante constatée lors de l’exécution d’une obligation essentielle afférente audit marché, au sens de ladite disposition, et est donc de nature à justifier l’exclusion de cet opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché public ultérieure si, après avoir procédé à sa propre évaluation de l’intégrité et de la fiabilité de l’opérateur économique visé par la résiliation du marché public antérieur, le pouvoir adjudicateur qui organise cette procédure de passation de marché ultérieure estime qu’une telle sous-traitance entraîne la rupture du lien de confiance avec l’opérateur économique en cause. Avant de prononcer une telle exclusion, le pouvoir adjudicateur doit toutefois, conformément à l’article 57, paragraphe 6, de cette directive, lu en combinaison avec le considérant 102 de ladite directive, laisser la possibilité à cet opérateur économique de présenter les mesures correctives qu’il a adoptées à la suite de la résiliation du marché public antérieur.
Une dernière question qui revient régulièrement porte sur le paiement direct d’un sous-traitant, notamment dans l’hypothèse où celui-ci fait face à une défaillance de l’entrepreneur principal.
Ce paiement direct trouve son fondement à l’article 7 de la loi du 23 juillet 1991 ayant pour objet de réglementer les activités de sous-traitance, qui prévoit que « Le sous-traitant est payé directement par le maître de l’ouvrage pour la part du marché ou du contrat dont il assure l’exécution. Le paiement est obligatoire même si l’entrepreneur principal est en état de faillite ou de gestion contrôlée. »
Pour être actionné, le paiement direct va nécessiter de remplir deux conditions :
- L’acceptation du sous-traitant ;
- L’agrément de ses conditions de paiement ;
Du fait de l’absence de véritable obligation pour le pouvoir adjudicateur de l’accepter, le paiement direct est rarement mis en œuvre dans les marchés publics.
Ceci s’explique du fait que l’acheteur public est réticent à démultiplier le nombre d’interlocuteurs lui transmettant des factures, le règlement sur les marchés publics prévoyant même en son article 105 (5) que :
En cas de sous-traitance, sauf dans le cas visé à l’article 33, paragraphe 1, alinéa 6, de la loi, l’adjudicataire demeure à l’égard du maître de l’ouvrage seul responsable et seul créancier, sans préjudice des dispositions de la loi du 23 juillet 1991 ayant pour objet de réglementer les activités de sous-traitance.
Pour plus de renseignements sur les questions de sous-traitance dans les marchés publics, vous pouvez contacter notre étude.