Marchés Publics : Le point sur les principes et les limites de la régularisation des offres
Avec l’introduction de la nouvelle loi du 8 avril 2018 sur les marchés publics et de son règlement grand-ducal d’exécution, une clarification importante a été apportée au niveau de l’étendue du pouvoir de régularisation des offres remises dans le cadre d’une procédure de marchés publics.
1) La situation sous le précédent régime de 2009
Même s’il avait le mérite d’être clair, le principe qui était applicable dans l’ancien cadre réglementaire était particulièrement sévère : « Les offres qui ne satisfont pas aux conditions du cahier spécial des charges ou dont les prix sont reconnus inacceptables sont éliminées. » (Art. 71 du règlement grand-ducal du 3 août 2009 (ci-après « RMP 2009 ») et ne souffrait que de très peu d’exceptions.
En effet, à titre dérogatoire, trois mécanismes principaux permettaient de régulariser un dossier :
- la rectification de l’erreur arithmétique, prévue par l’article 72 du RMP 2009 ;
- le redressement de l’erreur purement matérielle, dans les limites de ce qui avait été dégagé par les juges du Tribunal administratif :« L’erreur matérielle doit être rectifiée lorsqu’elle apparaît manifestement au moment de l’examen des offres. En effet, la rectification des erreurs matérielles manifestes n’affecte pas les règles interdisant ou restreignant les possibilités de modifications ou de redressements des prix, c’est-à-dire qu’elle n’est pas de nature à fausser le libre jeu de la concurrence, mais au contraire, elle tend à corriger la volonté déclarée par le soumissionnaire et à faire apparaître sa volonté réelle, c’est-à-dire son offre réelle. » (Trib. adm. 21 février 2001, n° 12.238 du rôle — Trib. adm., 14 décembre 2006, n° 22.262 du rôle) ;
- la demande de complément d’information, sur le fondement de l’article 240 du RMP 2009 : « le pouvoir adjudicateur peut inviter les opérateurs économiques à compléter ou à expliciter les certificats et documents présentés en application des articles 222 à 239. », cette possibilité étant toutefois réservée aux informations remises dans le seul contexte des critères de sélection qualitative, notamment en termes de capacité économique et financière ;
Même si le caractère purement matériel d’une erreur peut être sujet à une certaine interprétation, c’est — en pratique — la demande de complément d’information qui pouvait susciter des difficultés, pour deux raisons principales.
D’une part, au niveau de l’utilisation du terme « compléter » qui impliquait l’existence d’un document versé et, excluait par conséquent l’oubli pur et simple d’un document.
Sous ce prisme, il est intéressant d’évoquer le récent recours d’un concurrent évincé qui soutenait que, même s’il n’avait pas versé une certaine certification avec son offre, son sous-traitant en disposait de sorte que son exclusion manquait de fondement. A cette argumentation, le président du tribunal administratif a rappelé que le pouvoir adjudicateur ne saurait procéder à une telle régularisation ex post d’une offre :
« En ce qui concerne le moyen subsidiaire, basé sur l’affirmation qu’à la date de la remise de son offre, l’association momentanée …, son sous-traitant, la …., aurait disposé du certificat litigieux, mentionnant le procédé de soudage 111 pour la période du 7 octobre 2016 au 6 octobre 2018 ainsi que sur l’allégation que comme cette société aurait pignon sur rue dans le domaine du mobilier métallique, il aurait été « évident » qu’elle remplissait elle aussi ces conditions, l’association momentanée … admettant toutefois n’avoir pas produit ce document à l’appui de son offre, ce moyen ne convainc guère au vu de l’exigence, sous peine d’exclusion, de verser tous les documents requis au moment de l’offre et de l’impossibilité se dégageant de la jurisprudence, de régulariser ex post une offre incomplète, cette impossibilité ayant été précisément édictée, au vu de la jurisprudence, afin de garantir un traitement égalitaire et non discriminatoire de tous les concurrents. » (Trib. adm., Ord. 29 juin 2018, n° 41.273 du rôle).
D’autre part, le renvoi aux articles 222 à 239 du RMP 2009 aboutissait à s’interroger sur la possibilité de demander des documents ou des informations manquants qui ne s’inscriraient pas directement dans les documents requis au niveau de la vérification du respect des critères de sélection qualitative.
2) La situation sous le nouveau régime de 2018
Avec l’avènement du Document Unique de Marché Européen prévue pour le 18 octobre 2018 — document dans lequel les opérateurs économiques pourront déclarer sur l’honneur qu’ils respectent les conditions de participation d’un marché — la question du champ d’application de la régularisation des offres se pose avec un intérêt supplémentaire.
En premier lieu, il est essentiel de constater que si l’article 80 (1) du règlement grand-ducal du 8 avril 2018 (ci-après « RMP 2018 »), portant exécution de la loi sur les marchés publics du 8 avril 2018 (ci-après « LMP 2018 ») contient toujours le principe d’élimination des « offres qui ne satisfont pas aux conditions du dossier de soumission », le second paragraphe de cette disposition est dédié au traitement des cas de figure des dossiers incomplets ou contenant des informations erronées mais aussi — et surtout — des documents qui n’ont pas été remis.
Dans ce cas de figure, le pouvoir adjudicateur disposera de la possibilité de demander au soumissionnaire concerné de « présenter, compléter, clarifier ou préciser les informations ou les documents concernés dans un délai approprié » (Art. 80 (2) du RMP 2018).
Il faut souligner qu’il s’agit, comme pour l’ancien article 240 du RMP 2009, d’une simple possibilité réservée pour l’acheteur public et non d’une obligation.
De la même manière, cette possibilité peut avoir été exclue dans le dossier de soumission en indiquant, par exemple, que : « Tous les documents, attestations, et informations requises, doivent être fournies à l’appui de l’offre, sous peine d’élimination de l’offre ». Si une telle clause est présente, elle liera le pouvoir adjudicateur qui ne disposera d’aucune marge de manœuvre pour procéder à une demande de régularisation.
Sans qu’il ne s’agisse d’une précision explicite sur le délai approprié à respecter, il est intéressant de relever que le dernier alinéa de l’article 80 (2) du RMP 2018 prévoit une possibilité d’application de ce mécanisme en sollicitant des renseignements dans un délai de 15 jours.
En combinant cette disposition avec les nouveaux principes applicables en matière de communication électronique, et à défaut de précision quant à une demande devant se faire par voie de courrier recommandé avec accusé de réception, la demande de renseignement(s) complémentaire(s) devra — pour les marchés dépassant les seuils européens — être transmise par le biais du portail des marchés publics, afin de respecter le prescrit de l’article 196 du RMP 2018. Pour les marchés nationaux, la demande pourra être transmise par le portail ou par d’autres voies (téléfax, email, courrier).
En outre, pour être légale, la demande de régularisation des documents incomplets ou manquants devra respecter trois conditions supplémentaires :
- La demande devra être conforme aux principes d’égalité de traitement et de transparence (Art. 80 (2) a) du RMP 2018) : Le but étant d’éviter qu’un pouvoir adjudicateur décide de ne régulariser que l’offre d’un seul opérateur économique et d’éliminer les offres des autres soumissionnaires qui seraient dans un cas de figure similaire ;
- La demande ne devra pas conduire à favoriser ou défavoriser indûment l’opérateur à qui elle a été adressée (Art. 80 (2) b) du RMP 2018) : Au-delà du fait qu’il est peu aisé de concevoir le cas de figure où la demande de régularisation pourrait défavoriser un soumissionnaire, cette condition semble s’inscrire dans le prolongement de la première afin de renforcer le traitement égalitaire des soumissionnaires et ainsi éviter de tomber dans un comportement pouvant être taxé de favoritisme envers l’un des opérateurs économiques ;
- La demande ne devra pas permettre de déroger aux principes d’élimination des offres non-conformes et d’immutabilité des offres (Art. 80 (2) c) du RMP 2018) : Sur ce dernier point, le caractère de non-conformité s’entend dans le sens du non-respect des spécifications techniques qui ne saurait faire l’objet d’un redressement par le biais d’une demande sous le fondement de l’article 80 (2) ;
Cette dernière condition est essentielle car elle permet de déterminer une certaine ligne de conduite au niveau de ce qui pourra et ne pourra pas faire l’objet d’une régularisation.
Il conviendra ainsi de considérer comme pouvant être régularisés tous les documents et certificats permettant d’apporter des informations supplémentaires sans que la valeur de l’offre ne soit impactée.
A ce titre, les fiches techniques du matériel proposé et les documents historiques sur la société (bilan, statuts, extrait de casier judiciaire, agrément/certification détenu, etc.) peuvent être rangés dans la catégorie des documents pouvant être demandés s’ils sont manquants à condition qu’ils n’entrent pas dans l’évaluation de la valeur technique de l’offre, et, pour le cas plus courant de la non-remise des fiches techniques, à condition que la marque et le produit aient été mentionnés dans le bordereau.
En revanche, les prix et les précisions demandées dans le bordereau quant aux produits proposés ainsi que tous les autres documents et informations qui rentrent en jeu dans le cadre de la vérification initiale de la conformité de l’offre et/ou dans son évaluation ne pourront pas faire l’objet de régularisation(s).
Sous cet angle, il est intéressant d’évoquer l’arrêt rendu le 8 mai 2018 par la Cour administrative qui a confirmé l’annulation de la décision d’adjudication du Centre Hospitalier de Luxembourg qui avait pris l’initiative de régulariser l’offre d’un soumissionnaire.
En l’espèce, cette régularisation avait été opérée au niveau d’une position où seule la mention de la marque avait été apposée dans le bordereau par le soumissionnaire à qui le marché avait été adjugé, et ce en dépit de l’obligation de décrire avec précision le type de moteur proposé :
« En l’espèce, la Cour constate de prime abord et fondamentalement qu’au niveau de la position 1.8.5 du cahier spécial des charges visant le « Umluftventilator », au titre duquel le cahier spécial des charges requiert un moteur de la classe IE4, la société … n’a pas du tout décrit le type de moteur offert, mais elle a uniquement indiqué une marque d’un fabricant sans autre précision. Sous ce rapport, la Cour ne saurait entériner la vision des choses des pouvoirs adjudicateurs qui prônent une analyse et un raisonnement au niveau de la position 1.8.5 du cahier spécial des charges par recoupements avec et déductions à partir d’indications fournies par la société … au niveau d’autres positions du cahier spécial des charges, étant donné que la rigueur au niveau des indications par les candidats dans les bordereaux de soumission est la garantie nécessaire et incontournable d’une mise en concurrence loyale et d’un traitement égalitaire des opérateurs économiques, principes qui ne laissent pas de place à des suppositions et autres risques d’arbitraire et de distorsion de la concurrence.
Il incombe en effet principalement aux soumissionnaires – censés être des professionnels et spécialistes en la matière – de veiller à remplir les bordereaux de soumission avec précision et rigueur, tout comme il leur appartient de fournir d’emblée au pouvoir adjudicateur toutes informations et documentations pertinentes
(…)
Il ne saurait partant être question d’un menu problème de contrariété entre des inscriptions claires dans un bordereau de soumission et des pièces justificatives erronées le cas échéant régularisable, mais l’apparence claire et nette était et est celle d’une omission ou imprécision flagrante du soumissionnaire … au moment du remplissage de son bordereau. Il s’en dégage une non-conformité manifeste au niveau de la position 1.8.5 du cahier spécial des charges viciant l’offre de la société … que les pouvoirs adjudicateurs se devaient de sanctionner, sans aucune possibilité de régularisation, aussi compréhensibles ou louables que puissent avoir été les intentions des décideurs. » (Cour administrative, 8 mai 2018, n° 40.528C du rôle)
De ce qui précède, il faut retenir qu’il est impératif — pour les opérateurs économiques — de continuer à apporter le soin nécessaire à la préparation de leurs offres afin qu’elles soient en tout point conformes au cahier des charges alors que si la nouvelle réglementation vient poser des limites claires au niveau de l’étendue de la régularisation, celle-ci reste une simple faculté pour le pouvoir adjudicateur et elle ne permettra en tout état de cause pas de régulariser un manquement au niveau de la teneur de l’offre du soumissionnaire.
Quant aux pouvoirs adjudicateurs, le recours aux possibilités de régularisation sur le fondement de l’article 80 (2) du RMP 2018 permettra de disposer d’un outil plus efficace en cas de carence des opérateurs économiques. Le but étant d’éviter de devoir considérer le caractère infructueux d’une procédure en raison d’un simple oubli d’un document, qui — même s’il était requis dans le dossier de soumission — n’avait pas d’incidence sur la teneur et la valeur de l’offre d’un opérateur économique.
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